Le jour se lève le  2 juillet 1966, dans le Pacifique Sud, le temps est beau et seule une longue  houle est perceptible. Nous sommes une trentaine d’hommes assis sur le pont d’envol du  » TCD Ouragan [1] « , revêtus d’une combinaison anti-poussières barrée de rouge, bleu-ciel pour les un gris clair pour les autres, lunettes anti-flash sur les yeux. Nous avons reçu l’ordre de tourner le dos à un point de l’horizon qui fera bientôt beaucoup parler de lui…

Cinq, quatre, trois, deux, un… Feu !

Un bref éclair et une caresse tiède perçue à travers la combinaison – bien que leur point d’origine soit à quelques kilomètres de là – nous confirment que le premier tir nucléaire, Aldébaran, vient d’avoir lieu sur l’atoll Mururoa, dans l’archipel des Tuamotu.[2]

Le Bang suivi d’un sourd grondement nous parviendra quelques secondes plus tard. Entre temps, la permission de regarder ayant été donnée, nous voyons s’élever une colonne noire, d’aspect visqueux, mêlée à la base de flammes rouge cerise. Cette colonne monte très haut avant de virer au gris sale puis au blanc et que commence à se développer le fameux champignon. Celui-ci s’étale assez rapidement puis se déchire et semble vouloir occuper tout le ciel… Honnêtement, à ce moment, je commence à trouver que nous n’en sommes pas si loin que ça!

Ayant rejoint le CO (central opérations) du navire, je me mets à l’écoute de mon réseau Toran à l’aide de mon petit récepteur de contrôle : Ouf… après une anxieuse attente d’une vingtaine de minutes, le ronflement familier du 80 Hz se fait entendre: Mes collègues du SMSR[3] armant le premier hélico à survoler l’atoll et à s’y poser viennent de remettre à la verticale l’antenne du foyer A que nous avions calée à terre avant le tir car bien proche du point d’explosion.

Mais avant de poursuivre avec mes souvenirs d’ancien combattant, il importe peut-être d’expliquer ce que venait faire un Toraniste dans cette aventure…

Muté à Sercel depuis 1965 auprès de Pierre Laurent (Patron de la Division Radionavigation), j’y assurais essentiellement des fonctions à caractère technico-commercial. C’est dans le cadre de cette activité que je fus amené à travailler dès 1965 avec le Service d’Equipements des Champs-de-tir (SECT). En 1967, le SECT me fera aussi confiance pour exercer mes talents de toraniste à bord de l’escorteur L’Agenais ( tirs de missiles Exocet) et du sous-marin expérimental Gymnote (tir de MSBS en plongée).

Les essais de l’arme nucléaire étant transférés du Sahara au Pacifique, se posait le  problème de la localisation fine des mesures de radioactivité en mer par des embarcations et des hélicoptères. Rappelons aux jeunes qu’à cette époque, le GPS n’existait pas encore, même pas en rêve !

Après moult réunions, il fut décidé de faire un test préliminaire en profitant de l’existence du petit réseau Toran mis en œuvre pour le dragage de la darse de Fos-sur-Mer. Un hélicoptère Alouette III de la Marine fut équipé d’un récepteur modèle C, de son boitier de contrôle et de ses phasemètres ainsi que d’une grosse et très lourde ( 180 Ah !) batterie au plomb, le tout soigneusement arrimé. Passons sur les problèmes de sécurité soulevés par un tel chargement, en totale opposition aux normes aéronautiques!

Nous fîmes quelques vols d’essai; la précision et la fidélité des mesures impressionnèrent  mes « clients ». L’utilisation du Toran comme moyen de localisation sur le champ de tir du Pacifique fut donc entériné. Accessoirement on me demanda si j’accepterais d’aller mettre tout cela en œuvre sur place… ce qui ne me posait aucun problème de conscience. Restaient à définir les matériels à commander, leur éventuelle adaptation aux conditions d’emploi, leur installation sur le terrain, etc.

Quelques réunions de travail tant au SECT qu’au CEA/DAM (Direction des Applications Militaires) furent nécessaires pour y parvenir. Parallèlement, je déposais ma demande d’habilitation pour l’accès au Centre d’Essais du Pacifique auprès des services compétents.

Et c’est ainsi qu’un jour de 1966, je reçus un ordre de mission barré de tricolore m’enjoignant de rejoindre le CEP via Papeete. Retour à mission accomplie.

 Rien de bien nouveau pour un Pros, sauf quand même certains détails:

Le vol se fit dans de bonnes conditions à bord d’un DC8 du COTAM[4], Brétigny-Los Angeles-Papeete.

L’escale américaine était nécessaire au « refueling » et elle impliquait le débarquement des passagers et de leurs bagages à main. La quasi-totalité des premiers étaient de jeunes militaires qui emmenaient les provisions de route (salaisons diverses, gâteaux, confitures, etc.) tendrement mises dans leur sac par leur mère ou leur petite amie… Hélas, bien qu’en transit, nous eûmes à subir un impitoyable contrôle sanitaire qui précipita toutes ces bonnes choses à la poubelle !

Nous restâmes enfermés dans un triste local pendant plusieurs heures, le temps de comprendre que les essais nucléaires français n’étaient pas appréciés en Californie !

Arrivée au petit matin à Papeete avec le traditionnel accueil tahitien: colliers de fleurs, Alohas et bises de bienvenue.

Pour ma part, je fus dirigé vers l’hôtel du Taoné, réquisitionné pour le personnel civil où je passai deux ou trois jours le temps d’accomplir quelques formalités, entre autres le passage au « cercueil », petit coffre en plomb dans lequel on vous fait asseoir quelques minutes avec un scintillomètre sous les fesses et un autre au niveau de la poitrine. Un spectromètre de masse enregistre les « raies » correspondant aux substances radioactives hébergées par votre organisme.

Au vu d’une belle raie de césium, l’opérateur conclut que je devais être un buveur de lait… Exact, et à défaut de Tchernobyl inconnu alors, les retombées des essais nucléaires soviétiques ou américaines devaient être en cause.

Le même contrôle au retour sera négatif, n’ayant plus bu de lait pendant le séjour et n’ayant pas gardé de traces de contamination. Ouf !

Passage au filtre de la police militaire, barbouzes etc. Mon habilitation ayant pris du retard, j’avais dû prendre l’avion « en dispense ». Cas jamais vu, à peine imaginable, un arrivant sans papiers !

Il fallut plusieurs échanges de messages avec Paris pour qu’enfin on me délivre un badge d’accès provisoire à Mururoa. Enfin, arrivée en Caravelle à Mururoa.

L’atoll est un immense chantier en pleine activité. Une bonne dizaine de navires sont au mouillage ou à quai. Une véritable ruche où dès le premier coup d’œil semble régner ordre et efficacité.

Mais je n’ai guère le loisir de faire du tourisme : Affecté sur la « Rance », navire affecté au SMSR, mon client. Hélas, pas de cabine de libre, je serai hébergé sur le « Morvan », un ancien pinardier, le « Sidi Mabrouk », transformé en un très correct hôtel flottant.

Je suis immédiatement intégré à l’équipe dirigée par M. Brun, Ingénieur du CEA/DAM, rassemblant techniciens et personnel d’intervention, décontamineurs, plongeurs etc. tous issus de métiers où la prise de risque est quotidienne (nageurs de combat par exemple). Ils me serviront provisoirement d’XLs. Des hommes solides qui se révèleront de bons collègues, d’une loyauté absolue.

Premier travail, convaincre la sécurité du site que je dois circuler partout sur les atolls, librement, sans préavis, quand le service l’exige. Sauf à l’intérieur des ouvrages de mesures où je n’ai d’ailleurs rien à faire… Pas facile, c’est tout juste si j’échappe à la présence permanente d’un ange gardien! Il me faudra déployer beaucoup de diplomatie pour y parvenir !

Deuxième travail, recenser mon matériel et l’installer. Le réseau Toran devant couvrir les deux atolls de Mururoa et Fangataufa et l’espace intermédiaire, un des foyers était installé à Fangataufa sur le motu « Terme Sud ».

La COMSIP[5] avait conçu pour abriter les stations TORAN des sortes de châssis tubulaires métalliques surélevant le matériel à environ un mètre du sol. Charge à moi de les monter. Les quatre « pieds » sont scellés dans le corail sur une profondeur de 80 cm environ. Enfin une bâche imperméable recouvre le tout. 

Judicieusement, le CEA avait remplacé nos traditionnels petits groupes Bernard à démarrage automatique par d’indestructibles et surdimensionnés groupes Diesel monocylindre… tournant en permanence, effaçant ainsi la menace des pannes de démarrage… bêtes noires du Toraniste!

L’installation de la chaîne s’effectuera sans difficulté. L’accès aux stations foyer situées sur Mururoa  était accessible avec l’Unimog mis à disposition. Pour les stations de référence, les  » modulées », situées sur la côte sud de Mururoa, nous dûmes acheminer l’Unimog au préalable avec un LCVP[6]. Elles étaient situées à la lisière d’un cordon de cocotiers et de pandanus. Un vrai décor de carte postale des Mers du Sud !

Les antennes de 12m, version renforcée des antennes CGG, étaient constituées d’un assemblage d’éléments tronconiques en fibre de verre/époxy dont les ancrages furent scellés dans le corail et le plan de sol recouvert de débris de coraux.

L’antenne la plus proche du point d’explosion – à moins de 1000m. – à Faucon, sera couchée au sol avant le tir, calée au moyen de blocs de corail, prête à être levée quelques minutes par les premiers techniciens héliportés à revenir sur le site après le tir en tenue de cosmonaute (M. Brun m’avait assuré que l’on ne me demanderait pas de le faire !).

L’installation du foyer situé sur Fangataufa se révéla un peu plus compliquée :

Fangataufa n’était accessible que par Bréguet-deux-ponts régulier ou Alouette III en cas de grande urgence. De plus, le transport de matériel à la station (Terme Sud) depuis la piste d’atterrissage exigeait l’utilisation d’une baleinière de récif et de son pilote, ce qui fut le cas lors de l’installation.

Ce qui n’était pas prévu c’est que le pilote polynésien, fatigué de nous attendre, s’éclipse discrètement avec son embarcation nous laissant à la tombée de la nuit sur notre motu. Nous n’eûmes pas d’autre choix que de tenter de rentrer à pieds au camp (quelques Raclettes dans un petit bois de pandanus). Une longue marche alternant motus et hoas[7], le passage de ces derniers étant parfois délicat en raison de la nuit sans lune et d’un fort courant de marée. J’étais le plus petit de l’équipe et j’avais en certains points de l’eau sous les aisselles. Désagréable quand on ne sait pas si le pas suivant va retrouver du solide ou rien ! Même mes compagnons (dont certains étaient d’anciens nageurs de combat) n’étaient pas trop tranquilles car un départ à la nage dans le noir total eut été très hasardeux. Pour mettre un peu de piment, des bébés requins – inoffensifs – venaient se frôler à nous !

J’eus tout le temps de soigner l’installation. Par précaution je mis la chaîne en marche dès que possible pour en surveiller la stabilité. Seul souci : les crabes de cocotier qui coupaient les câbles de la station de référence !  Pas d’autre choix que de les accrocher en hauteur sur les troncs de cocotier… en espérant que le souffle du tir n’arrache pas tout.

Nous fîmes aussi la recette des vedettes destinées aux prélèvements après le tir. Ces toutes petites embarcations de pêche-promenade (Arcoa?) avaient été équipées d’un récepteur Toran et de son habituelle énorme batterie) logés dans le pic avant. Même par beau temps, ces engins tapaient dans le clapot du lagon au point qu’il était impossible de rester devant le récepteur. Je plaignais d’avance les malheureux qui devraient s’en servir pour de vrai,  empêtrés dans leur tenue de cosmonaute…

Avant le premier tir, certains points de l’atoll avaient gardé leur coté paradisiaque. C’est le cas du long motu Viviane où étaient installées les stations modulées. Au prétexte de peaufiner les derniers réglages, j’y passais avec mon équipe de bons moments de détente. Disposant d’un petit canot à moteur, nous nous y rendions directement depuis La Rance en traversant le lagon. Sur place, barbecue de mahuas (énormes bigorneaux locaux) que nous pêchions sur le récif, cœurs de palmiers – deux coups de machette bien appliqués – jus de noix de coco fraichement cueillies, suivis d’un bon bain et d’une sieste royale nous paraissaient une revanche prise par anticipation sur tout ce qui allait suivre…

Puis vint le jour paradoxalement attendu. Après tout j’étais là pour cela !

Les deux jours précédant, il fallu évacuer proprement l’atoll, ne laissant que ce qui ne pouvait être démonté. La plus grande partie fut chargée sur les différents navires, sur les engins de débarquement qui trouvèrent place dans l’Ouragan et le reste… poussé à la mer !  En fait, il fallait laisser le moins possible de choses difficiles à décontaminer par la suite.

Estimant désagréable de regarder les mains dans les poches travailler les collègues du CEA, je leur donnai un bon coup de main. Le geste fut parait-il hautement apprécié de la hiérarchie et mit, me dit-on par la suite, la cote CCG-SERCEL au plus haut!

La veille du tir, je mis mon sac sur La Rance et la flotte sortit du lagon en file indienne. Très rapidement, il fut clair que le navire, très chargé dans les superstructures par la présence des «châteaux de plomb» des labos de radioprotection, roulait bord sur bord dans la houle, rendant trop risqué l’appontage des hélicoptères en cas de mauvais temps. Les interventions à terre se feraient donc à partir du TCD Ouragan , les hélicos y furent donc transférés… ainsi que votre serviteur.

Transfert épique car j’embarquais en hâte à l’arrière d’une Alouette III, affalé sur un chargement de brassières, sans avoir ni le temps ni la possibilité de m’attacher. Le capitaine de frégate aux commandes décolla  comme une fusée et prétendit se poser sur le TCD Ouragan sans respecter les ordres de l’officier d’appontage qui manifestait clairement son indignation! A quelques 30 cm près, l’hélico basculait par-dessus bord… J’appris par la suite qu’il s’agissait d’un très occasionnel, très redouté pilote qui profitait des circonstances pour faire les quelques heures de vol manquantes pour pouvoir conserver ses brevets.

A bord de l’Ouragan, la vie s’organise. Une couchette m’est désignée dans un entrepont et on me fait une petite place au Centre Opérations pour me permettre de réagir aux instructions qui me parviendraient de la Rance en cas de problème.

Mais puisque nous sommes revenus à bord de l’Ouragan, reprenons le cours de mon récit : j’étais précisément à mon poste au CO.

Soudain, une des Alouettes III équipées de Toran signale un problème : la batterie Toran donne des signes de faiblesse… Le temps de mettre un masque respiratoire et je suis à pied d’œuvre, assisté d’un homme chargé de ma protection radiologique. Sa chambre d’ionisation se met à «cracher» furieusement à quelques mètres de l’hélico et il me fait comprendre que nous ne devrons pas nous éterniser au contact de l’appareil. D’ailleurs celui-ci reste prêt à redécoller, turbine en marche et équipage harnaché, masqué et visiblement tendu. Le temps de débrancher la batterie, la remplacer et rebrancher, je ne suis déjà plus là. Mais cela aura suffi pour impressionner mon dosimètre.

J’eus bien sûr droit à la décontamination : Avoir manipulé et porté la batterie contaminée m’a laissé des traces radioactives au niveau des mains et du ventre. Enfermé dans une boite à gants grande comme une cabine téléphonique, de robustes mains masculines m’enlèvent mon masque, me déshabillent, me savonnent, me douchent, me brossent, me frottent jusqu’à disparition de toute radioactivité mesurable. Mais j’échappe au rasoir ! Point positif, à la sortie je  récupérai des vêtements neufs et secs !

Ce sera mon seul fait d’armes de toute la campagne…

Un peu plus de 24 heures après le tir, nous fîmes notre retour dans le lagon de Mururoa. La Rance en tête, suivent l’Ouragan, la Maurienne, l’Hippopotame, le navire amiral, le De Grasse, puis tous les autres bâtiments. Après les premiers contrôles radiologiques à terre effectués par les personnels du SMSR, les hommes ayant un travail ou une mission à accomplir peuvent à nouveau mettre pied à terre.

Ce retour si peu de temps après l’explosion devait permettre aux équipes de préparer le prochain tir de cette « première demi-campagne », prévu pour le 13 juillet. Ce sera aussi une grande première puisque c’est un exemplaire du premier modèle de bombe de l’arsenal nucléaire français qui sera largué « en conditions réelles » depuis un avion Mirage IV. La date du tir n’a pas été choisie au hasard : le lendemain, 14 juillet, le général de Gaulle pourrait annoncer la nouvelle publiquement.

Hélas, la météo fut capricieuse et il fallut retarder de six jours ce premier tir opérationnel.

Puis arriva pour moi le jour du départ : Lors d’un long et détaillé debriefing, je formulais mes conseils et suggestions pour la suite. C’est alors que me fut posée la question : Connaîtriez-vous quelqu’un qui puisse prendre votre place et que vous pourriez recommander ?

Estimant in-petto que la suite de cette mission pourrait vite devenir une galère au fil du temps, je préférais réserver ma réponse jusqu’à mon retour en métropole. Je ne souhaitais faire de mauvaise blague à personne.

Le retour s’effectua à l’image de l’aller, sans fait notable, par un DC8 militaire Papeete – Djibouti – Paris.

De retour à Paris, le nom d’un jeune et aventureux collègue qui se morfondait au service militaire dans une obscure garnison de l’Est vint à l’esprit de Pierre Laurent et de moi-même : François Lévy .C’est ainsi que je suggérai son nom à M. Brun.

EPILOGUE :

Lors d’une visite au CEA/DAM quelques semaines après mon retour, j’appris que j’avais enfin reçu l’habilitation attendue en vain. Les services de renseignements s’étant aperçus que mon beau-père d’alors était officier supérieur dans une armée étrangère… durent monter une méga-enquête !

Enfin, après la dé-classification de certains documents secrets dans les années 2010 et suivantes, j’eus la satisfaction de voir mentionné le « bon fonctionnement et la très grande utilité du Toran » pendant la première demi-campagne 1966, durée de ma présence sur le site.

Voilà qui vaut presque une médaille, non ?

[1] TCD Ouragan : Transport de Chalands de Débarquement (les chalands prennent place dans un radier submersible comme dans un dock flottant)

[2] Aldébaran : En fait, un ce tir devait avoir lieu la veille mais un incident technique avait arrêté le compte à rebours.

[3] SMSR : Service Mixte de Surveillance Radiologique (Mixte = Civil & Militaire)

[4] COTAM : Commandement des Transports Aériens Militaires

[5] COMSIP : Société d’engineering commissionnée par le CEA

[6] LCVP = Landing Craft for Vehicle and Personal

[7] hoas : Un atoll est généralement constitué d’une succession d’ilots émergés, les motus, séparés les uns des autres par des passages d’eau peu profonds entre océan et lagon, les hoas.

 

 


Récit de François Lévy : campagne suivante 1967

 En 1965, le CEA a acheté un réseau complet Toran à CGG pour équiper le site de Mururoa et Fangataufa qui était le CEP, Centre des Essais nucléaires du Pacifique à 1.600km de Tahiti. C’est mon collègue Benoit de Sercel qui a été l’installer, et m’a pistonné auprès de l’Armée pour m’attirer en Polynésie. 

L’armée? pourquoi l’armée? Tout simplement parce que lorsque la CGG m’a embauché le 4 septembre 1964, je n’avais pas fait mon service militaire étant sursitaire. J’ai été affecté au labo Radionavigation  dirigé par M. Laurent qui faisait parti du service  SERCEL ( Société d’Etudes Recherches et Constructions Electronique).

En 1965 Sercel est devenue une filiale de CGG et nous avons changé de contrat et de chéquier de Neuflize, Schlumberger,Mallet et compagnie.

En 1966 Sercel a décidé de regrouper les laboratoires de Montrouge, ceux de la rue Castagnary Paris 15° et l’unité de fabrication de Chatillon à Nantes et le déménagement a eu lieu avant la fin de l’année 1966. Pour ma part j’ai refusé d’aller à Nantes et CGG m’a réembauché en juin en tant que prospecteur toraniste (puisque je faisais parti du labo qui avait mis au point le Toran ) et je suis parti immédiatement en Corse. Très belle mission à Cargèse où j’étais responsable de deux stations foyers Toran 3-G et une station modulée en face des îles sanguinaires près d’Ajaccio. Je n’ai pas fini la mission car j’ai reçu un ordre de  rejoindre l’armée le 3 novembre. 

J’ai été incorporé  à Épinal dans les Vosges au 18° Régiment des Transmissions pour 18 mois. J’y ai fait mes classes et le 2 avril 1967 j’ai été muté au 1° Train à Paris (caserne Dupleix) à 1/4 heure de mon domicile parisien. Comme il n’y avait pas de lit vacant et que les boutons de mon uniforme étaient jaunes alors que dans le Train ils sont blancs, j’ai eu immédiatement une permission permanente de dormir chez moi et la journée j’allais au centre du CEA à Montlhéry avec ma Renault 4 CV. 

Le 1° mai au soir j’ai pris un vol UTA à l’aéroport du Bourget pour rejoindre Tahiti où nous nous sommes posés 36 heures après. Voyage bien long avec escales à Athènes, Colombo, Saïgon, Sydney, Nouméa,  Nandi et Papeete. 

 J’ai été affecté au 5° RMP (Régiment mixte du Pacifique) à la caserne d’Arué. Le 5° RMP est composé essentiellement de légionnaires et l’adjudant de service m’a trouvé un lit dans une chambrée impeccable où tous les képis blancs étaient parfaitement alignés sur les armoires. Le camp était constitué de baraques Fillol aérées par un  ventilateur au plafond. Les légionnaires malgré une vingtaine d’années de plus que moi étaient sympas; presque tous d’origine allemande ils avaient fait la Corée, l’Indochine,  et l’Algérie. Certains avaient de longues barbes et mangeaient à la cantine avec des baguettes, d’autres avaient de grandes moustaches ou le crane rasé. Il n’y avait pas de mur autour de la caserne mais tous les soirs ceux qui sortaient en ville boire un coup au célèbre « Queen’s »  suivi d’une fin de soirée au « Lafayette » rentraient par le poste de police et saluaient le planton réglementairement. Sinon il  y avait un cinéma en plein air qui passait un film nouveau tous les soirs. J’ai reçu un paquetage de tenues « léopard » mais je ne les ai jamais mises ayant eu l’autorisation de porter la tenue civile. Au bout d’une semaine j’ai pris le Bréguet 2 ponts avec escale à Hao pour rejoindre Mururoa .

Je me suis présenté (en uniforme d’origine: 18° RT) à bord du BSL Rance qui était à quai le long de la piste d’aviation sans oublier le traditionnel salut du drapeau à la poupe du navire. Le capitaine d’armes (le bidel) était bien embarrassé de voir un biffin dans son bateau et m’a conseillé d’aller me présenter à la direction des opérations pendant qu’il me trouverait une bannette pour dormir. 

Mr Brun, le patron des opérations, m’a bien reçu et m’a conduit dans les locaux de la Comsip avec qui je devais faire équipe. Le personnel (civil) de la Comsip  logeait sur la Maurienne et m’avertit qu’il y avait des cabines libres. J’en ai avisé M. Brun et au soulagement du bidel de la Rance j’ai déménagé sur la Maurienne et j’ai obtenu une cabine et la permission de rester en civil (short, chemisette et espadrilles) 

Mon premier travail a été l’installation des stations Toran  avec déplacement en hélicoptères pratiquement tous les jours. J’étais chargé également de ramener les relevés de radioactivité atmosphérique sur les appareils installés près de mes stations, bénéficiant d’un gros groupe électrogène qui tournait jour et nuit.

Le 15 juin 1967 surprise de noter un taux plus élevé que d’habitude qui intrigua fortement les gens du CEA jusqu’à la déclaration de la Chine annonçant qu’elle venait de réussir son premier tir nucléaire et qui plus est de bombe H, en aérien à la surprise générale de la planète.

Puis j’ai équipé deux Alouettes III de récepteurs ainsi que 2 chaloupes  pour suivre la tâche radioactive après chaque tir. Vu les faibles distances entre les foyers, la précision du réseau était excellente à condition évidement que le pilote ne fasse pas des auto-rotations ou des montées verticales sur la queue car l’antenne était fixée horizontalement entre les patins.

En 1967, la campagne d’essais a consisté en 3 tirs de bombes atomiques type A, d’une puissance de 8 fois celle d’Hiroshima, à partir d’un  ballon dirigeable situé à 300-400 m d’altitude. C’est une bombe de cette puissance qui devrait servir de détonateur à la première bombe H à Hydrogène française prévue pour l’été 1968.

Au droit de l’explosion, il se forme une tache  très radioactive que le courant existant dans le lagon de Mururoa entraîne plus ou moins rapidement vers l’extérieur puis cette tache va se perdre et se dissiper dans l’océan Pacifique. Le problème est d’éviter que les bateaux reviennent à quai sur l’atoll en passant sur cette tache qui pourrait contaminer les bouilleurs servant à fabriquer l’eau potable à bord.

Dès le tir exécuté et le double coup de canon de l’onde de choc passé (1 minute après), nous embarquions dans une Alouette III qui nous menait au quai de Mururoa où nous attendait un canote. Trois marins étaient chargés du pilotage, deux des relevés de la radioactivité (mer et air) et moi des coordonnées Toran .

La mission consistait à suivre cette tache en faisant des allers et retours dessus. A l’aide des coordonnées Toran que je lisais sur les phasemètres, je transmettais au PC les coordonnés et mesures de la radioactivité toutes les 30 secondes.

Le Poste des opérations était sur la Rance, un BSL (bateau de soutien logistique), qui était  avec toute la flotte en état d’alerte (stade zéro), à 10 miles  de là. Au milieu de la salle des opérations,  il y avait une grande carte transparente des atolls, et un marin situé à l’arrière de la carte, pour ne pas gêner la vue de la carte, notait au fur et à mesure les valeurs qu’il recevait. La  particularité du marin, qui était devenu un ami, était de savoir écrire les chiffres à l’envers et dans l’autre sens. Cela n’a l’air de rien mais il s’entraînait souvent et pouvait écrire une page complète à l’envers.

Bien entendu les 6 élus de l’Apocalypse, étions revêtus d’une combinaison étanche bleu-clair barrée d’une bande rouge dans le dos, avec un grand masque panoramique qui nous donnait l’air de cosmonautes. Pour communiquer nous avions un micro-émetteur collé autour du cou, le laryngophone qui nous donnait une drôle de voix d’outre-tombe. Comme il faisait très chaud on se mettait à poil dans la combinaison ce qui facilitait le retour dans le sas de décontamination où des mains gantées (masculines!) nous déshabillaient avant de passer sous la douche puis sous un scintillomètre qui nous mesurait comme un vulgaire échantillon pour savoir si nous étions radioactifs ou non. La chaleur et l’humidité me posaient le problème de la buée sur les lunettes à l’intérieur du masque, et malgré tous les conseils des uns et des autres, genre frotter les verres avec une patate fraîche etc, j’avais trouvé que lécher les deux faces des verres, minimisait ce flou qui n’avait rien d’artistique. Si l’appareil de contrôle sonnait, il fallait retourner sous la douche se relaver puis se représenter sous le portique. en cas d’insuccès, un opérateur extérieur nous passait un appareil sur toutes les parties du corps pour déterminer la zone qui « crachait ».  Bien souvent la zone se trouvait à la jonction des gants et de la combinaison et on devait  relaver la partie incriminée jusqu’à disparition des poussières radioactives. A l’extérieur de la combinaison nous avions chacun un dosimètre extérieur personnel dont la lecture était soigneusement comptabilisée mensuellement et un stylo dosimètre à lecture immédiate: en cas de dépassement des doses de radioactivité autorisée? le gars était envoyé en détente à Papeete un certain nombres de jours dépendant de la dose reçue pour un temps d’exposition donné. Nous avions également un appareil à main appelé CAB-Trop (compteur alpha beta tropicalisé) qui avertissait la présence de particules alpha ou beta. Avant de partir sur les stations, je l’étalonnais sur ma montre de plongée lumineuse qui crachait en permanence 50 cps ! (le tritium était couramment employé dans les montres lumineuses.)

Le cps est une unité de comptage de désintégrations par seconde utilisée avec les compteurs Geiger. Sinon l’unité employée était le rad, la dose radioative équivalente à 100 ergs d’énergie absorbés dans un gramme de matière. cette unité a été remplacée quelques années après (1975) par le gray .

Au premier tir (Altaïr), la puissance du souffle de l’explosion, a couché l’antenne de la station la plus proche Camélia et quelques minutes après le tir, je suis parti immédiatement en hélicoptère réparer les dégâts, sous l’œil réprobateur du pilote qui aurait préféré être devant son Dubonnet. Les 2 suivants j’ai couché l’antenne avant le tir et nous allions la relever  dès que possible puis l’hélico me reposait près du canote pour commencer les mesures.

Je me suis retrouvé 3 fois sous un champignon atomique, quelques minutes après le tir, et je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi monstrueusement immense : ce chou-fleur noir bouillonnant qui ne cesse de s’agrandir et de s’élever au dessus de nos têtes, ce silence horrible sur l’atoll dévasté où quelques troncs calcinés de cocotiers accentuent cette atmosphère de désolation …pas une mouche, pas une mouette, pas un signe de vie : plus rien!

Le canote est à fond plat et de ce fait remue énormément et à chaque fin de profil nous étions obligés de sortir du lagon pour faire demi-tour dans les vagues de la passe et il fallait s’agripper dur pour rester debout.

Lors du 2° tir (Antares) un des marins (un « chouf « : appellation du quartier-maître-chef) a eu le mal de mer, et grâce à son laryngo, nous avons eu droit en direct à son agonie. On lui a interdit de nous parler mais le pire c’est qu’il s’est mis à rendre dans son masque bien évidemment, et vu la radioactivité extérieure, il était hors de question de le vider et j’avoue que, malgré nos cœurs bien accrochés de baroudeurs, nous avons été contents de rejoindre la Rance à la fin de la mission.

Surtout que la Rance se trouvait à 10 miles de l’atoll, au milieu des vagues du Pacifique et que l’épreuve finale était le passage du canote à la coupée (échelle extérieure) du navire. Avec des creux de 2,5 m il fallait bien viser pour sauter sur la dite échelle engoncé dans une combinaison. Cela se terminait en général par un bain quand ce n’était pas une immersion totale et les consignes dans ce cas étaient de bloquer sa respiration et surtout s’agripper à la coupée le temps que le mouvement du bateau ramène l’infortuné sous-marinier à l’air libre. 20 à 30 secondes qui paraissent très très longues, d’autant plus que le masque plein d’air, lui avait tendance à vouloir flotter, d’où entrée d’eau de mer. On apprend très vite à se transborder au moment où le canote arrive au sommet de la vague même quand on est gaucher comme moi et que la barque n’est pas du bon coté; Pour ma part j’avais l’expérience des montées et descentes de barges pétrolières, grutées 10 m en dessous sur un remorqueur haute mer ayant travaillé avec Jean Benoit sur la GEM 111  qui forait en 1965 sur le tracé du futur tunnel sous la Manche et qui était positionnée à l’aide du Toran.

Le 3° tir (Arcturus) fut limite: suite à un vent défavorable nous sommes restés en attente (stade Pénélope) au moins deux jours et le ballon s’est dégonflé doucement. le tir a eu lieu quand même, donc à 3 mètres au dessus de l’eau; officiellement les militaires ont dit qu’il avait été effectué à partir d’une barge! 

En arrivant sur la zone quelques minutes après ce tir, nos appareils de mesure affichaient une  radioactivité beaucoup plus élevée que le 2° tir qui avait une puissance 5 fois plus élevée et nous n’étions pas rassurés. Le lagon était anormalement agité et nous avons été bien secoué. La fameuse tache radioactive que nous  devions suivre jusqu’à la passe était mal définie et notre mission a été écourtée. La Flotte est restée un jour de plus en mer et une équipe de marins est repartie prendre des mesures le lendemain dans le lagon mais sans le Toran donc sans moi.

Puis la légion est intervenue comme les autre fois: balayage de la zone vie et de la piste d’aviation avec des camions « Unimog  » équipés de grosses brosses, fixation de la poussière sur les bords à l’aide de goudron, pose de pancartes et barbelés délimitant la zone contaminée, et tous les bâtiments sont revenus s’ancrer devant l’héliport et la piste d’envol.

Curieusement, tout le petit groupe opérationnel que nous formions a été envoyé en permission à Papeete juste après, pour bons et loyaux services! Je pense que l’examen de nos dosimètres y était pour quelque chose. Je suis donc rentré à Papeete avec escale obligatoire à Hao où les roues de l’avion étaient systématiquement changées, pour des raisons de pollution que je n’ai pas trop comprises : si elles étaient radioactives au décollage elles l’étaient à l’atterrissage donc polluaient la piste d’Hao ?

Ne voulant pas quitter mes camarades marins, j’ai été inscrit avec eux dans un baraquement réservé aux marins de passage à la caserne d’Arué . Notre chance inouïe a été de pouvoir passer presque 3 semaines à Papeete pendant le mois de juillet. En effet la plus grande fête à Tahiti est « le Juillet » qui initialement est la commémoration du 14 juillet qui, au fil des années, dure tout le mois de juillet avec souvent une prolongation d’une semaine au mois d’août. Toute la population des îles et atolls débarquent à Papeete et c’est la grosse fiesta . Les bières locales, Manuia et Hinano coulent à flots , de nombreuses ginguettes sont installées pour la circonstance le long de l’avenue Pomaré IV et sont constituées d’une estrade en haut de quelques marches au pied des quelles il y a un caissier. Seuls les hommes paient un droit de danser une série de cinq danses, (slows valses tahitiennes et pour finir le tamouré)  puis l’orchestre local s’arrête, tout le monde descend et c’est reparti pour un tour. La cavalière est choisie dans le flot de passants qui se promènent la couronne de tiaré sur la tête. 

 

Puis je suis retourné à Mururoa, début août, pour démonter tout le matériel et surtout le décontaminer.

Le rapatriement du matériel des différentes stations, s’est effectué par hélicoptère : Alouette II et III. Un hélico me déposait  le matin avec quelques aides pour le démontage, nous disposions le matériel et les caisses dans des filets que nous accrochions en sling sous l’hélico qui revenait quelques heures plus tard. Les pilotes étaient des experts et grâce à leur précision nous ont fait gagner du temps. Désaccoupler un groupe électrogène de son moteur, le poids du gros générateur soulagé par l’hélico en vol stationnaire en dessus de nos têtes n’est pas à la portée d’un débutant et demande une bonne synchronisation.

La Légion avait mis à ma disposition sur la terre ferme, un petit local avec un grand bac étanche et la décontamination consistait à immerger tous mes appareils électriques dans du gaz fréon liquide puis  les sécher au soleil devant une grosse soufflante. Dans la pièce, le port du masque respiratoire était obligatoire ainsi que la tenue chaude.

Les pièces les plus contaminées étaient les ventilateurs qu’il fallait dessouder et traiter à part.  Une fois l’opération terminée, l’appareil était passé sous un scintillomètre pour vérifier qu’il n’y avait plus de traces de contamination, remis en caisse ensuite et entreposé dans un hangar sain.

 Les caisses qui n’avaient pas pu être abritées lors des tirs, avaient toutes le coté vers l’explosion calciné par le flash , complètement noires mais juste en surface. Il suffisait de les laver à l’aide d’un puissant jet d’eau pour retrouver le bois sain mais décapé.

Cette opération m’a pris deux semaines et je suis retourné à Papeete. 

Ma mission étant terminée le CEA m’a demandé si je voulais  rentrer en France où attendre la fin de mon service à Papeete où ils avaient du travail pour moi au laboratoire électronique de la Comsip. Inutile de dire que j’ai opté pour la 2° solution : tout le monde y trouvant son compte: un technicien payé 50 centimes par jour et  un militaire vivant en civil dans un logement de civil nourri logé à la Base vie du CEA qui ressemblait beaucoup au Club Méditerranée avec ses grandes cases tahitiennes (Fare). Je ne perdais pas au change.

Nous faisions la journée continue : 07 heures – 13 heures, déjeuner dans un grand fare avec vue sur la mer, puis après-midi libre bien souvent plage, ski  nautique etc. 

J’ai fait également beaucoup de reconnaissances d’atolls ou îles dans tout l’archipel: des Marquises aux Gambier. On me débarquait à l’aide d’un hydravion préhistorique (Catalina) avec un émetteur radio des provisions et de l’eau et l’armée faisait des essais de connections radio pour déterminer l’implantation future d’émetteurs militaires ou stations géophysiques.

Quelques jours après, le Catalina venait me rechercher. En général ces lieux étaient déserts et j’ai mangé les meilleures langoustes de ma vie grillées sur un feu de palmes de cocotiers et de pandanus. Les oiseaux de mer nichaient partout à même le sol, et n’étaient absolument pas craintifs. Les mâles frégates gonflaient une énorme poche rouge en signe de protestation mais sans aucune agressivité il y avait aussi des gros fous de Bassan et aussi les fameux paille-en queue. C’est un oiseau blanc, le phaéton, dont le mâle pour son malheur a le croupion garni de deux très grandes plumes élancées rouges, objet de convoitise des Tahitiens. Comme cet oiseau n’est pas craintif, chaque fois qu’il rencontre un tahitien il se fait aussitôt arracher cet ornement sans aucun ménagement, et je me demande s’il n’a pas du mal à conquérir le cœur d’une belle sans cet artifice.

En fouinant sur Internet je viens d’apprendre que l’atoll de Tureia, situé à 100 km au nord de Mururoa, a été contaminé par les tirs de 1966 et 1967, aux innocents les mains pleines, je ne regrette pas les délicieuses langoustes que j’ai mangées il y a 50 ans.

J’ai passé Noël 1967 à Papeete. Ma voiture (Fiat 850 de location) est tombée en panne le soir, alors que je me rendais chez des amis qui m’avaient invité (Albert Haïm) à réveillonner. J’ai continué à pied et un chien m’a mordu cruellement le haut du mollet. Je suis arrivé le pantalon ouvert laissant apparaître ma jambe gauche toute sanguinolente.

Albert Haïm travaillait au CEP en tant que civil a la COMSIP. Il était en famille avec 2 petits enfants. C’était un fanatique des coquillages et très souvent le soir il m’emmenait à la pêche, généralement en apnée. Nous avons fait pratiquement le tour complet de Tahiti à la recherche du mythique Cône Gloire-De-La-Mer (Connus gloria-maris) sans le trouver. Nous avons également effectué l’ascension de L’Aoraï à 2.066m au-dessus de la mer. Une journée et demie d’ascension dans un environnement très glissant et très humide.

Début janvier je suis rentré en métropole et j’ai retrouvé Annie qui m’avait tricoté un beau pull-over (avec des torsades !) Elle avait eu le temps depuis le 1° mai dernier! J’ai été mis en permission libérable jusqu’au 1° mars 1968 date à laquelle j’ai réintégré CGG qui m’a affecté à une mission terrestre à Dax (chef de mission Pierre Dury) en attendant un départ en Indonésie début juin 68.

 



En 1975 la CGG est revenue sur les lieux pour faire une étude sismique marine en vue des tirs souterrains qui se sont poursuivis principalement sous l’atoll de Fangataufa.

Si quelqu’un de la Marine se souvient de cet épisode merci de nous contacter ou de nous envoyer un récit de la mission. A l’époque cette mission était classée Secret Défense et je n’ai pas trouvé traces dans la documentation. Le seul souvenir que j’ai est d’avoir rencontré Jean Delhom du Comité d’Entreprise qui se réjouissait de faire partie de la mission mais le CEA lui a refusé la demande d’habilitation à cause de ses idées politiques très à gauches.


Une anecdote: sur la Rance il y avait un marin engagé 3 ans qui était près de la quille et tous les matins hurlait le nombre de jour qu’il lui restait à faire. la veille du 0 au jus il fait un pot bien arrosé. Le grand jour arrive nous étions tous sur le quai à l’attendre. Il sort du bateau superbe crie encore une fois Zéro au jus et d’un geste théatral prend son sac marin et le laisse tomber dans le lagon du haut de la coupée. (les marins sont propriétaires de leur sac marin et de la petite valise bleue qui leur sont affectés.)  Malheureusement pour lui le bidèle ( équivalent de l’adjudant de l’armée de terre) lui dit pas si vite mon p’tit gars tu as jeté ton sac marin sur un site militaire, tu vas aller le chercher et tu le jetteras à Tahiti si le cœur t’en dit. Et notre petit mataf de se mettre en slip et de plonger pour récupérer son bien pendant que l’avion décollait de l’atoll. Il est reparti plus calme le lendemain suivant. Et pour la petite histoire il est rentré chez lui pour s’apercevoir que ses amis d’enfance étaient mariés, et deux mois après il a rempilé dans la Marine Nationale pour 5 ans.